Bonjour à toutes et à tous ! Me voici de retour avec un nouveau classique britannique qui a fait couler beaucoup d’encre depuis sa publication puisqu’il a très longuement était censuré. Bien sûr, quand on lit ça en 2020, je vous cache pas qu’on a un effet un peu « Tout ce foin pour ça ? ». Il s’agit bien sûr de « L’Amant de Lady Chatterley » grand classique de la littérature érotique et je vous cacherai pas que quand on achète ça à la librairie de quartier avec « Sodome, ma douce » de Laurent Gaudé…On se sent légèrement mal-à-l’aise.
Au delà des scènes -pas si kinky que ça par ailleurs – de quoi parle exactement ce livre ? Quels sont les personnages, l’intrigue ? Est-ce du sexe gratuit pour le seul plaisir pornographique ou tout cet étalage génital a-t-il un but supérieur ? Tout cela, et bien plus dans mon billet (j’ai soigné mon approche vous en conviendrez !).
L’Intrigue
L’Amant de Lady Chatterley publié en 1928 relate l’éveil à la sexualité d’une jeune femme de la haute société dans l’Angleterre de l’après-guerre. Lassée par le peu d’attentions de son mari revenu blessé et impotent du front, elle se tourne vers un dramaturge d’abord puis vers le garde-chasse de la propriété de son mari, Wragby Hall. Olivier Mellors, puisque tel est son nom, va l’éveiller au plaisir de la chair et de la sensualité…Leurs premières rencontres ont lieu dans la forêt. Mellors l’ignore ostensiblement. Il faudra quelques hasards, un message à transmettre, la clé d’une hutte isolée dans laquelle Mellors élève des faisans pour la chasse, pour qu’enfin, les deux personnages se rapprochent. C’est une relation essentiellement et même exclusivement charnelle qui se développe entre eux. Mellors parle très peu, il se contente de la coucher et de la…Enfin je vais pas vous faire un dessin. Peu à peu, ils apprennent à se connaître et nombre de leurs discussions éclaireront le lecteur sur les idées de l’auteur, car Mellors était son porte-parole, sur sa vision de l’Angleterre sur le déclin et surtout, sur ce fléau qu’est l’ère industrielle. Il faudra les quelques révélations du garde-chasse pour que réapparaisse son ex-femme (le divorce n’a pas été prononcé en réalité et légalement, ils sont toujours mariés, faille que Mme Mellors n’hésitera pas à exploiter) et qu’éclate (timidement car partiellement étouffé) le scandale, un scandale à, l’image de ces tempêtes de neige contenues sous globe car s’il prend place dans la sphère fictive du roman, il se pourrait bien qu’il annonce quelques peu les retombées de ce roman sulfureux.
Ce que j’en ai pensé :
Le scénario :
Je n’ai pas grand chose à dire du point de vue du scénario qui est cohérent, progressif et logique. Si la première partie du roman traite de leur rencontre, le passif de Constance, sa vie monotone à écouter son intellectuel de mari se livrer à de grandes parties de masturbation intellectuelle par une élite toute aussi émasculée et anesthésiée que lui, la deuxième traite de l’histoire Connie – Mellors et de ses répercussions. on a reproché à Lawrence une fin très peu dramatique car un peu dans le flou, l’expectative. Aucune forme d’achèvement n’est réellement atteinte et on a l’impression d’être laissé-e au beau milieu de l’histoire. Personnellement, ça ne m’a pas dérangé. Je n’attendais pas forcément un fin trop différente…
Les Personnages :
Bon, asseyez-vous sur votre siège parce que là, il y a du lourd. Je vais essayer de pas trop m’énerver. Par où commencer ? Disons que les personnages tournent principalement autour d’un Triangle amoureux : Mari – femme – amant. le mari trompé (dont j’ai déjà oublié le nom) est un personnage assez (trop ?) conventionnel et il n’y a pas grand chose à en dire. Progressiste sur le fond social, très conservateur sur le plan économique, il a hérité en même temps que de Wragby hall, de la responsabilité d’une mine de charbon sur le déclin et il cherchera à travers le roman, à trouver des solutions et notamment de nouveaux débouchés pour ne pas que ferment les mines et que les mineurs se retrouvent sans rien. Il est physiquement vissé à son fauteuil roulant. C’est un homme qui reste dynamique, vigoureux, et qui s’emporte facilement.
Connie quant à elle est un personnage dont on apprécie la féminité, la complexité et le côté très introspectif . Elle dépérit lentement dans les couloirs obscurs de Wragby hall, privée de vie sensuelle et elle ira trouver dans les bras de Mellors ce que son mari ne peut lui donner : une vie qu’on ne se contenterait pas de discuter mais de vivre. Lassée des grandes discussions intellectuelles qui ne mènent jamais nulle part, elle aspire à une vie nouvelle qui ne serait plus déconnectée du corps et de ses plaisirs.
Mellors enfin est un personnage complexe assez peu crédible. Il représentait pour D. H. Lawrence le parfait exemple de l’homme…parfait justement. Issu de la classe ouvrière, il est intelligent, éduqué, aurait pu faire carrière dans l’armée mais ne supportait pas les rapports d’autorité, il sait travailler de ses mains mais également tenir des débats en société. Son personnage est traversé par une dualité entre son côté ouvrier qui use du dialecte local et travaille de ses mains et son côté plus aristocratique avec son anglais upper-class irréprochable, son grade dans l’armée et son éducation. Ceci étant dit, c’est un personnage très peu sympathique et c’est un euphémisme. Arrogant, hautain, méprisant, bourré de préjugés sexistes, homophobes, antisémites racistes (combo !), il n’éprouve pour Connie aucun semblant d’affection et il ne s’intéresse en fait qu’à son vagin. D’ailleurs, les deux ne s’appellent jamais par leur prénom, uniquement par des petits surnoms qu’ils donnent à leur sexe (John quelque chose pour lui et Lady Jane pour elle).
Il y a également l’infirmière de Lord Chatterley qui apparaîtra plus tard pour assumer les fonctions de gouvernante, infirmière, garde-malade, maman etc…Sa relation avec son patient est très particulière (et pas très éthique sur le plan médical je pense) faite de mépris et de fascination. Elle lui en veut car son mari est mort dans les mines que détient Lord Chatterley et la direction a refusé de l’indemniser car soi disant c’était de sa faute et il n’avait pas respecté les consignes de sécurité. D’un autre côté, elle aime son côté aristo et prend un petit plaisir qui n’est pas dépourvu de sensualité à bichonner son petit patient…La soeur de Connie Hilda a ma préférence, même si Mellors se permet de la rembarrer très rudement (il lui dit qu’en gros, parce qu’elle n’est pas docile, elle n’est pas baisable en tant que femme).
Profondeur :
Difficile de juger car on sent bien que D. H. Lawrence avait une réelle idée en tête en écrivant cela. Il y développe des idées dont certaines sont assez novatrices, d’autres complètement loufoques. l’idée principale, celle que j’ai retenue, est que l’Angleterre, prise au piège de la modernité, embourbée dans le marasme de la Grande guerre et de la reconversion post-industrielle est devenue, telle Lord Chatterley, une infirme clouée dans un fauteuil, émasculée, privée d’énergie et de sentiments, absorbées par les froides considérations de l’esprit au mépris des exigences du corps. Ce qu’il faut à l’Angleterre de nouveau selon Lawrence, c’est un souffle nouveau. Exit les machines et le charbon, exit les bicyclettes qui font râler Mellors (j’en connais un qui aurait pas voté les Verts en 2020 !), les hommes redeviendront des hommes virils en pleine possession de leur moyen, des mecs qui ont des balls quoi, ils délaisseront les prisons de béton pour des jolies petites maison dans la campagne et cesseront d’embrasser les idées révolutionnaires bolcheviques qui égarent la jeunesse. Pour ça, comment procéder ? Rien de plus simple : les hommes doivent porter des pantalons rouges. Non, non, c’est pas une blague. Je rappellerais bien à Mellors qu’outre Atlantique ce sont les pantalons rouges Garance qui nous ont coûté le début de la Grande Guerre…Ils porteront de jolis pantalons, réapprendront à se comporter comme des hommes tandis que les femmes redeviendront des femmes (comprenez dociles, tjrs prête à s’offrir à leur mari et toujours enthousiastes bien sûr car si les femmes ne jouissent pas nous apprend Mellors, ce n’est pas parce qu’il s’y prend comme un manche, non, c’est juste elles qui sont frigides, ce sont des femmes qui n’aiment pas les hommes, des lesbiennes, et, nous dit Mellors, il faudrait les buter) et ainsi, tout rentrera dans l’ordre. L’idée de Lawrence, c’était que l’homme devait accepter et même embrasser pleinement la part animale de son désir et s’accomplir non plus à travers les idées et l’abstrait qui rendent les hommes froids, insensibles et apathiques, mais à travers les plaisirs sensoriels et en particulier le sexe. D’ailleurs on le voit au départ : Constance Chatterley étant privé de relations charnelles par son mari rendu impotent (d’ailleurs, il est traité comme un poids, on ne sent aucune pitié ni aucune reconnaissance du fait qu’il a été se faire trucider pour que son garde-chasse puisse tringler sa femme et lui faire un petit dans le dos) dépérit physiquement : elle devient faible, maigrichonne, maladive et c’est le fait de se trouver un amant qui lui rendra sa santé.
Style
On m’a présenté le style de Lawrence comme étant simpliste, accessible, et effectivement, ce n’est pas très compliqué. Il fonctionne beaucoup par répétitions en faisant des phrases lentes et en insistant par des adverbes. Cela a un côté très enfantin qui sans être réellement dérangeant ne laisse pas une trace indélébile.
Accessibilité :
L’Amant de Lady Chatterley n’est pas un long roman compliqué. C’est plutôt court et rythmé, j’ai lu les premiers chapitres d’une traite même si le tout début servant à introduire l’enfance de Constance est un peu longuette. C’est facile à comprendre même en VO grâce au style.
Sexismomètre :
Je vais pas vous faire de dessin, ce livre est une des pires abominations sexistes qu’il m’ait été donné de lire. Mellors est une sorte d’incel des années 20, un type qui, déçu par les quelques femmes qu’il a rencontrées se met à haïr les femmes mais les haïr avec une force…Je n’ai jamais lu de propos d’une telle violence sur la gent féminine. Mellors va jusqu’à appeler au meurtre des femmes frigides. Il en fout plein la tronche à son ex-femme parce qu’elle voulait tout le temps ken quand lui voulait pas et ne parvenait pas à avoir d’orgasmes simultanés. Pire encore, alors que lui redescendait (sexuellement je veux dire…), elle qui n’avait pas atteint son pic continuait à se masturber sur son corps inerte. Elle était donc vue comme une démone mangeuse d’hommes, une Lilith 2.0 accusée de le vider de sa force virile et de lui couper les balls. Il a tout essayé nous dit-il y compris la forcer à avoir une relation sexuelle (#viol-conjugal-forever). Je ne sais pas s’il faut faire preuve de tolérance (et je me pose la question au moment même où j’écris ces lignes) eu égard à l’époque à laquelle ce roman a été écrit mais les choses décrites me paraissent tout de même anormalement violentes, y compris pour les années 20. On parle tout de même d’incitation à la haine, d’appel au meurtre et d’apologie du viol…Lawrence d’ailleurs ne s’arrête pas là et vous est offert avec ce petit florilège des délires misogynes les petites piques racistes et homophobes, sans oublier, inclus dans le packaging, les préjugés antisémites selon lesquels les feujs sont des brutes qui tyrannisent les bonnes gens car ils sont immensément riches…Bref, cette lecture est pleine de poncifs assez nauséabonds, mieux vaut donc le lire avec l’esprit critique en mode « on ».
En Général :
Il m’aura fallu de longues semaines pour écrire cet article tant, semble-t-il, je rechignais à me replonger dans l’histoire du plus sulfureux des romans Britanniques. Cette lecture était nécessaire car elle fait partie du patrimoine littéraire anglophone mais elle ne m’a pas pour autant été agréable ou profitable. Un livre donc qui m’a assez déçue car je l’imaginais libéré, loin des chichis bourgeois de cette époque, et pourtant, derrière le vernis progressiste « love sex », c’est tout un fatras d’idées réactionnaires du pire acabit. A noter tout de même le fait qu’en dépit de sa misogynie flagrante, il est l’un des rares romans écrits par un homme mettant en scène un personnage principal qui soit une femme et qui plus est une femme complexe et sensuelle douée d’une vie intérieure riche. Il est également l’un des romans qui s’attardent le plus sur l’orgasme féminin et c’est suffisamment rare à l’époque (aujourd’hui encore me direz-vous quand on sait à quel point il est difficile de voir le clitoris correctement représenté dans les manuels scolaires). Lawrence était-il un féministe qui s’ignorait ?
La prochaine fois :
Je pense vous faire un petit billet express sur une tragédie de mon dramaturge préféré, une pièce que je voulais depuis longtemps et que j’ai eu l’occasion d’étudier avec un jeune que j’accompagne…See you next time donc ! Je vous souhaite de super fêtes confinés !