Plongée dans la Russie Impériale : Anna Karénine, Léon Tolstoï

Ce dimanche, c’est avec une immense fierté que je vous présente ce pavé de presque 1000 pages qui m’aura tout de même pris un certain temps à lire : Anna Karénine.

 

Un petit mot sur les couvertures et l’édition…

Voici les trois différents éditons d’Anna Karénine et d’ores et déjà, ce que je trouve assez intéressant c’est que toutes insistent sur une facette différente de ce personnage. Je pense que la couverture peut vraiment influencer votre lecture du personnage. Alors que dans l’édition livre de poche à droite (celle que personnellement je possède) on nous montre une femme un peu rêveuse sur un fond gris pastel qui évoque peut-être le froid de la Russie ou la fadeur un peu passée d’une réception mondaine, la deuxième, celle du milieu nous montre une belle jeune femme fière et richement vêtue qui nous défie du regard. Le décor fait davantage penser à la vitre d’un train, ce train qui aura un tel impact (littéralement en fait…Petite blague à part pour ceux qui ont lu le livre) sur la vie d’Anna Karénine…Enfin, l’affiche du film nous présente une femme désemparée, comme perdue entre deux hommes…Sa robe est rouge, la couleur de la passions et l’on voit déjà dans le fond le train qui se rapproche…Trois couvertures, trois différentes facettes d’Anna Karénine…Qui est donc cette Anna Karénine qui a fasciné la Russie ? Est-elle une séductrice libre et provocatrice, une âme en peine qui tente d’échapper à son destin, une femme victime de son époque ou les trois à la fois ? L’interprétation est libre.

L’Intrigue

Difficile de résumer l’intrigue d’un roman de 1000 pages en quelques lignes sans en révéler les twists. Anna Karénine ce sont deux histoires entremêlées, celle d’Anna Karénine, l’aristocrate épouse d’un fonctionnaire froid et sans originalité et celle de Lévine, Constantin Dmitriévitch ou Kostia, riche propriétaire terrien rousseauiste qui tentera durant tout le roman de réconcilier sa vision idéaliste du monde avec la réalité de la paysannerie pauvre de la Russie du XIXème siècle.

Du côté d’Anna, l’histoire commence avec son frère, Stipa (Stéphane Arkadiévitch Oblonski) qui a séduit la gouvernante au grand dam de sa femme, Dolly. Voici la riche maison aristocratique toute tourneboulée et Stipa fait appel à sa soeur afin qu’elle remette un peu d’harmonie dans son foyer. En arrivant, Anna rencontrera Vronski sur le quai de la gare (elle a voyagé avec sa mère dans le train). Ils échangent quelques paroles, le temps pour Vronski ainsi que pour le lecteur de se rendre compte qu’Anna, pour son plus grand malheur, est dotée d’une incroyable beauté et d’un charme incroyable…Elle restera quelques jours, le temps de rabibocher les deux époux et d’assister à un bal…Elle y dansera avec Vronki et cela scellera malheureusement leur destin à tous deux. Débutera une histoire d’amour auquel ils s’abandonneront malgré la morale extrêmement rigide de cette aristocratie russe…Nous suivront la déchéance d’Anna, une femme remarquable par sa soif d’indépendance et son amour de la vie, contrainte à l’ostracisme, mis au ban de cette société moraliste bien-pensante…

Parallèlement, on suit l’histoire de Constantin Lévine et je vous le dis tout de suite, ce sera votre personnage préféré. Constantin Lévine ou juste Lévine dans la narration est un riche propriétaire terrien qui s’efforce d’optimiser les rendements de son exploitation agricole par la modernisation et la bonne gestion de son terrain. Il tentera de concilier cela avec son souci du bien-être des paysans. Lévine contrairement à son frère aîné qui a une vision idéalisée du peuple ou de celle de certains autres propriétaires terriens qui les perçoivent comme de vulgaires bêtes de sommes, à peine mieux que du bétail, a une vision juste et non biaisée du peuple, sans angélisme ni démonisme. Sa vision est basée sur une observation empirique et une certaine compassion, un sens de l’écoute et une compréhension inné de l’être humain dont il saura tirer parti. Lévine, c’est également un homme fou amoureux de Kitty, la jeune soeur de Dolly. Il voit dans le mariage et la vie de famille une sorte d’harmonie idéale à laquelle il aspire. Lévine, contrairement à Anna (qu’il rencontrera symboliquement à la fin du roman) est un homme qui recherche la vie non pas horizontalement si je puis dire, c’est à dire dans les plaisirs de la vie, les restaurants, les clubs, les mondanités comme le fait Anna mais plutôt verticalement à travers une introspection et une réflexion sur les valeurs célestes et terrestres.

Il y aurait sans doute toute une analyse littéraire et psychologique à faire sur ces deux opposés que représentent Anna karénine et Constantin Lévine, personnage dans lequel Tolstoï a mis beaucoup de lui-même (la mort de son frère, l’anecdote sur le costume de marié…) mais ce n’est pas le propos de cet article aujourd’hui…

Ma Notation en lettres :

Scénario : C

Le scénario est à la fois simple et bien construit. Il n’y a aucune situation invraisemblable, aucun retournement de situation, si ce n’est peut-être la fin de la septième partie qui m’a surprise, j’ai trouvé que ça n’allait pas avec le personnage, sa soif de vivre, sa nature passionnée…Ce n’est pas le scénario qui fait la qualité de cette oeuvre car l’intrigue n’a rien de spécial, elle ne sert que de support à la partie plus métaphorique : l’univers du livre, la critique sociale, le portrait psychologique.

Profondeur : A

J’ai souvent lu qu’Anna Karénine c’était une belle histoire d’amour mais j’ai trouvé en le lisant que c’était tellement plus que cela…Anna Karénine c’est aussi la critique sociale d’une société moralisatrice et bien pensante, d’une bourgeoisie sclérosée qui, trop tranquillement installée dans son aisance ne voit pas sa propre déchéance…C’est le contraste frappant entre cette aristocratie mondaine qui profite des plaisirs de la vie, parfois jusqu’à se couvrir de dettes tandis que les paysans travaillent dur et dorment à même la terre battue dans leur misérables chaumières…La critique vient toujours de façon très habile à force de petites touches ça et là, une mise en perspective, une comparaison, une petite remarque bien sentie du narrateur…On sent derrière la plume de Tolstoï le mépris qu’il avait pour cette société hypocrite et décadente alors que Lévine qui travaille la terre, vit simplement en refusant les plaisirs de la vie, loin de la ville et de son influence corruptrice, représente une sorte d’idéal Rousseauiste de pureté.

Personnages : A*

Voilà l’un des gros points forts de ce roman avec sa profondeur : ses personnages hauts en couleurs. Les personnages de Tolstoï, Anna Karénine mais aussi Lévine, Kitty, Vronski, Alexandre Alexandrovitch (le mari d’Anna), Oblosnki et Dolly sont tous des chefs d’oeuvre de psychologie, surtout Anna et Lévine qui sont bien plus mis en avant. Le point de vue interne nous permet en tant que lecteur de juger par nous-mêmes des pensées qui agitent Anna de cette vie fausse qu’elle menait en tant que femme modèle jusqu’à sa chute. La complexité de ce personnage se reflète à travers toutes les différentes couvertures du livre. Difficile, même une fois le roman terminée, de dire que l’on comprend réellement intimement Anna. A l’image d’un diamant aux mille facettes, elle fascine par les différents visages qu’elle montre au lecteur, maîtresse passionnée, mère dévouée, épouse idéale, femme libre et indépendante, libre-penseuse provocatrice…Anna est tout cela à la fois et il est bien difficile de formuler un jugement à son encontre. Dolly elle-même admire Anna et avoue l’approuver secrètement, bien qu’elle n’accepterait pas de la réintroduire en société pour ne pas perdre sa propre image…Anna c’est peut-être simplement une femme qui ose faire ce que tant d’autres ne faisaient qu’espérer…

Style : A

J’ai beaucoup aimé le style littéraire de Tolstoï. Ce sont 1000 pages qui passent assez facilement grâce à un style simple mais élégant. Tolstoï se plait à travers le narrateur a exprimer sa propre pensée sur cette société. De plus, le texte est bien découpé à travers huit parties elles-mêmes découpées en plusieurs chapitres de quelques pages.

Longueur : D

Inutile je pense de préciser que c’est difficile. Forcément, 1000 pages mine de rien c’est long, très long et cela nuit malheureusement à l’accessibilité de ce chef d’oeuvre…Certains passages paraîtront sans doute trop long, inutiles, comme ces longs paragraphes dans lesquels Lévine décrit sa gestion de son exploitation agricole.

Général : A

J’ai beaucoup aimé Anna Karénine, c’est un livre que j’ai eu un de mal à lire à cause de sa longueur mais c’était à chaque fois un plaisir de retrouver Anna et surtout Lévine, qui, comme pour tous les lecteurs, est mon personnage préféré. Ce roman m’a beaucoup apporté et j’ai été transportée par son style, ses personnages et sa profondeur.

En Bref :

Anna Karénine est un excellent livre, un véritable chef d’oeuvre. C’est un livre je pense qu’il faut lire au moins une fois dans sa vie. C’est un véritable morceau de la Russie, quelques décennies avant la révolution communiste qui allait embraser le pays et la mener jusqu’à l’état autoritaire que l’on connait aujourd’hui. C’est aussi tout un éventail de personnages avec leur histoire, leurs défauts, leurs qualités, leur mentalité…Chose étonnante, aucun personnage n’est réellement désagréable ou antipathique. Stipa est dépensier, hédoniste et irresponsable, des défauts qui ont tendance à m’agacer et pourtant, j’ai apprécié sa bonhomie, son tempérament gai, sa sympathie…Alors que dans Mémoires d’une jeune fille rangée tous ces bourgeois m’ont parus vains, futiles et méprisants, un peu l’image que je m’en faisais, ils m’ont parus sympathiques dans Anna Karénine. Malheureusement, c’est un livre qui est très long et je ne vous le recommande qu’à condition d’être un bon lecteur. Ne vous lancez pas dans sa lecture si vous vous attendez à un roman d’amour bête et insipide car vous serez déçus. Anna Karénine, c’est beaucoup, beaucoup plus que ça.

Pour finir, je vous laisse avec ce magnifique morceau qui résument bien je trouve l’ambiance du roman, sa langueur, son élégance surannée, ses mondanités…Enjoy 🙂 See you next week !